PLONGÉE EN EAUX LIBRES
PLONGÉE EN EAUX LIBRES
Ils sont retraités, actifs, hommes ou femmes… Ils viennent parfois de loin pour se rencontrer et échanger autour des “logiciels libres”. Le point commun des membres de cette communauté : une volonté de recréer un rapport différent à la technologie, et de se détacher des “logiciels propriétaires”.
Ce vendredi de janvier, la petite salle du bas du bâtiment qui abrite le Fablab* de Rostrenen dégage un mélange d’enthousiasme enfantin et de concentration aiguisée. Autour d’une table dépouillée, des bénévoles s’affairent autour de leur dernière née : une machine multi-outils, à moitié montée, qui semble leur donner du fil à retordre. Alain Benion et Alain Gilfort, absorbés par leur tache, sont ici considérés comme les deux amoureux des logiciels « libres », une démarche née dans les années 1980.
Le libre, c’est quoi ?
Le « Logiciel libre » désigne des logiciels qui respectent la liberté des utilisateurs. Pour résumer, cela veut dire que les utilisateurs ont la liberté d’utiliser, copier et modifier ces logiciels. Cela ne signifie pas qu’ils soient forcément gratuits. En somme, on peut fabriquer et même vendre un gâteau, mais cela ne veut pas dire que le concept nous appartient. Pour Alain Gilfort, le libre relève même de l’évidence : « Dans la culture scientifique, on n’a jamais gardé les informations, le partage des connaissances, c’est la base du moteur des civilisations… Imaginez qu’il faille une licence pour faire le mélange des ingrédients d’un quatre-quarts : on a du mal à se projeter dans un monde où les recettes de cuisine seraient privatives ! Pourtant, on l’accepte très facilement pour les logiciels. » « Aujourd’hui, la marque a pris le dessus, ajoute Alain Benion. On dit toujours un « PowerPoint » pour un document de présentation, « Word », pour un logiciel de traitement de texte… Choisir le libre, c’est essayer de sortir de ça et de mieux comprendre ce que l’on utilise. C’est se déconditionner. » Autour de ce concept simple, c’est toute une communauté qui s’est créée en centre Bretagne, avec en toile de fond, l’idée de recréer un rapport différent à la technologie. Les deux « libristes » de Rostrenen, comme de nombreux autres, participent régulièrement à des « install party » : dans ces temps d’échanges ouverts à tous, les plus aguerris proposent aux débutants d’installer le système d’exploitation libre « Linux » sur leur ordinateur (pour remplacer Windows, ou Mac Os, par un système libre).
Linux, porte d’entrée sur le libre
Dernièrement, c’est à Châteauneuf-du-Faou que passionnés et curieux se sont rassemblés, pour une install party lancée par Hervé Cornec, bénévole du collectif Linux Quimper, en collaboration avec la communauté de communes. Linux Quimper, c’est un peu la clef de voûte des différents événements sur le territoire. Et pourtant, insistent les bénévoles, ils ne forment pas une association. Piero, malgré le froid de ce mois de janvier, s’est échappé un instant de la salle bardée d’ordinateurs pour prendre l’air, une courte barbe blanche blottie dans son écharpe colorée : « Nous sommes un lien, un petit rouage parmi d’autres, explique-t-il. Nous n’éprouvons pas le besoin d’avoir un président… On est accueilli par différentes structures sur le territoire et on fait ça un peu sans réfléchir, du moment que l’on s’entraide et qu’on y prend plaisir ! » Linux Quimper, essentiellement composé de personnes qui se sont rencontrées en ligne, sur un forum, a pris de l’ampleur et rassemble aujourd’hui plusieurs centaines de personnes.
Solidarité numérique
Finalement, Piero rentre dans le bâtiment de la communauté de communes. Disposés en U sur une moquette bleue, les bureaux accueillent des curieux de tous les âges. Certains ont le regard concentré sur leurs écrans, s’aidant parfois de celui du voisin. D’autres sont en pleine discussion, à quatre ou cinq, pour tenter de percer les secrets d’une machine récalcitrante. Beaucoup ont déjà installé le système Linux lors d’une « install party » précédente, et viennent pour régler des problématiques spécifiques, échanger sur les logiciels libres, ou simplement pour le plaisir de retrouver cette petite communauté : « Maintenant, je n’en ai plus besoin, mais je viens quand même, lance un participant, son ordinateur sous le bras, en se dirigeant vers la sortie. Souvent, les gens me demandent pourquoi je m’embête. C’est sûr que dans les premiers moments, j’étais complètement paumé… Mais c’était un challenge, j’avais envie de fouiller, de comprendre… »
Un rapport à la technologie
Ce qui est certain, c’est que les raisons qui poussent tous ces « linuxiens » à utiliser ce système, et plus largement les logiciels libres, sont multiples. « L’informatique, c’est toujours compliqué », avance Piero. Pour lui, les logiciels libres sont avant tout une porte ouverte à l’entraide sur le domaine de l’informatique : « Cela va encore plus loin que l’informatique, précise-t-il. C’est un rapport à la technologie. Avec Linux, on a aussi des problèmes, mais on est autorisé à comprendre ensemble, à réparer… » Pour Hervé Cornec, l’organisateur de l’événement, c’est la sécurité des données qui prime : « Sous Linux, tu peux contrôler tout ce que tu fais, alors que sous Windows, c’est une sorte de boîte noire, c’est très difficile de contrôler ses données. Et puis, il y a un aspect social que l’on ne retrouve pas avec des logiciels propriétaires. » Enfin, qui dit accès total au cœur des logiciels, dit aussi liberté de les configurer à sa sauce. C’est ainsi que quelques passionnés de Linux ont permis aux écoles Diwan d’installer tous leurs logiciels… en breton !
Morgane Olès