Plus VR que nature

Plus VR que nature

J’ai eu l’occasion de réaliser deux reportage en collaboration avec le Mensuel de Rennes en 2018, avec le photographe Lionel Le Saux. Le premier concerne les nouveaux loisirs à Rennes, notamment autour de la construction d’une salle d’arcade VR.

Paru le 11 décembre 2017, pour le compte de : Le Mensuel de Rennes

Quartier Saint-Hélier, Nicolas et Sébastien ont créé une salle d’arcade VR (réalité virtuelle). Ils y font plonger les joueurs dans des univers numériques.

«Virtual game : l’inscription sur la façade ne laisse aucun doute. C’est bien ici, boulevard René-Laennec, que se trouve la première salle d’arcade de Rennes dédiée à la réalité virtuelle. Derrière cette porte m’attend une promesse : la découverte de mondes parallèles numériques. Je la pousse et trouve le gérant, Nicolas, derrière son comptoir. Il est en pleine conversation avec une jeune femme. De nombreux clients viennent pour demander des cartes cadeau en cette période de Noël. “Nous n’avions pas prévu d’en faire avant l’ouverture de la salle définitive. Mais nous avons fini par céder devant la demande” rit-il avant de m’entraîner dans la salle.


Deux machines trônent au milieu de ce qui ressemble assez à un salon. Ces Virtuix omni sont des tapis de marche à friction raccordés à des harnais qui permettent au joueur de se stabiliser. Grâce à eux, l’utilisateur, muni d’un casque de réalité virtuelle, peut se déplacer dans un jeu en utilisant les mouvements de son propre corps. Ces dispositifs sont la raison d’être de Virtual game : “j’étais en soirée quand j’ai eu cette idée, sourit Nicolas. Je suis tombé sur une vidéo de l’Omni, et je me suis juste dit : ‘C’est énorme.’ J’en ai parlé à mon frère, et nous voilà. Nous sommes les premiers en France à proposer cette expérience.”

Ils se sont lancés dans l’aventure le 26 juillet 2017 et comptent ouvrir au public le lieu définitif, bien plus grand, courant 2018.
En attendant, c’est ici même que Nicolas me regarde poser un pied hésitant sur le socle de l’Omni. Il m’a fourni des chaussures anti-adhésives qui font si bien leur travail que je me sens l’âme d’un chameau sur la banquise. Les cheveux recouverts d’une charlotte, pour l’hygiène, je le laisse guider mes gestes pour me retrouver sanglée sur la machine. “On me dit souvent que ça ressemble à un youpala, glisse-t-il malicieusement. De l’autre côté de la vitrine, quelques passants curieux tournent la tête vers moi. Pas le temps de m’en préoccuper. l’entraînement commence ! Je suis invitée à faire glisser mes pieds sur le socle pour marcher en surplace. Après quelques essais, me voilà prête à revêtir le casque de réalité virtuelle pour entrer dans un jeu. Bien que le casque soit assez lourd, l’effet est saisissant. L’illusion visuelle à 360° fonctionne et la maison hantée qui s’est matérialisée devant moi me paraît soudain un peu trop réelle. Pour avancer, je fais glisser mes pieds prudemment. La technologie opère. Je me déplace jusqu’à la porte d’entrée qui met un point d’honneur à me grincer dans les oreilles. Immergée dans l’environnement numérique, je suis presque surprise d’entendre des voix réelles près de moi. Après quelques minutes seulement, le jeu prend fin.

Je suis soulagée d’enlever le casque. Faire du surplace m’a demandé un effort bien plus important que ce à quoi je m’attendais : “Peut être en raison du harnais qui n’est pas vraiment conçu pour un physique féminin”, explique Nicolas qui me propose ensuite une expérience multijoueur. “La VR crée une complicité. On évolue avec l’autre dans un univers à part. On partage une aventure. On est toujours derrière un écran, mais on est dans la même expérience, cela rapproche. En sortant du casque, on discute. On élargit le champ de la discussion.” L’avatar de Lionel, mon collègue photographe, agite la main vers moi. Les casques communiquent entre eux : je peux entendre sa voix. Le gérant nous explique que l’expérience VR est aussi plus ouverte que celle du jeu vidéo classique. “Pas besoin de savoir jouer aux jeux vidéo. on utilise directement son corps.”

Le sociologue Laurent Tremel, spécialiste de l’étude des jeux vidéo, est sceptique. Une expérience collective, oui, mais sur quelle base ? Pour lui, bon nombre de jeux vidéo “mainstream” véhiculent des stéréotypes, sexistes, racistes… “Nous faisons très attention aux jeux que nous proposons, assurent les deux frères. Nous avons refusé les jeux impliquant de tirer sur une cible humaine. Ce que nous aimerions privilégier, c’est une scénarisation travaillée dans les jeux. Nous voulons aussi être un espace de création de jeu, un bac à sable pour les expérimentations autour de la VR. Après, ne soyons pas hypocrites : nous serons obligés de nous adapter aux attentes du public dans une certaine mesure. »

Morgane Olès