Des simulateurs de vieillesse : le poids des ans dans la peau
Des simulateurs de vieillesse : le poids des ans dans la peau
Pour simuler les symptômes de la vieillesse, une équipe de médecins a développé une combinaison spéciale, qui permet au personnel soignant de mieux appréhender les difficultés liées à l’âge.
À Landerneau, dans une salle de réception à la moquette impeccable, le bruit des scratchs scelle la destinée de mes pauvres os de vingtenaire. D’ici quelques minutes, ma condition physique sera devenue celle d’une personne de 80 ans. Un à un, mes membres s’alourdissent. Des poids aux pieds et aux bras viennent s’ajouter à la pesanteur naturelle. Des élastiques serrés autour des articulations restreignent mes mouvements. Une plaque rigide raidit subitement mon dos. Les responsables de ce vieillissement accéléré sont les membres de l’équipe d’Adhap, un service d’aide à la personne. Ils ont en leur possession plusieurs combinaisons, développées par des médecins, qui reproduisent les affections physiques liées au vieillissement. Des « simulateurs de vieillesse », en somme.
Un simulateur de vieillesse
Éric Geiger, responsable du centre Adhap services de Lesneven, ajoute à l’attirail un casque qui rend inaudibles les sons de haute fréquence et des lunettes qui reproduisent une affection de la vue. Le choix ne manque pas : dans une mallette, différentes paires proposent un petit voyage au pays de la cataracte, de la dégénérescence maculaire, du glaucome, du décollement rétinien… Régulièrement, l’entreprise invite le personnel soignant de tous les établissements de la région à venir faire cette expérience. « Cela permet d’éprouver physiquement ce que ça donne au quotidien. On imagine mal ce que c’est de vivre la vieillesse », affirme Valérie Ramirez, coordinatrice d’Adhap. Assistants sociaux, infirmiers, aides-soignants, aidants et même postiers se succéderont donc tout au long de la journée pour se mettre à l’épreuve. L’équipe me laisse faire quelques pas dans la pièce, équipée d’une canne, avant de prendre les choses en main.
Le dos voûté, je me dirige vers une table. « Bonjour, ça sera 1,85 € pour votre baguette, madame. » Me voilà dans un simulacre de boulangerie. Mes doigts privés de toute souplesse fouillent fébrilement le porte-monnaie improvisé pour l’occasion. 70… 80… Mes articulations se montrent aussi peu coopératives que ma vision. Alors que je suis sur le point de trouver la piécette manquante, une voix s’élève dans mon dos, cinglante. « Il y a la queue, madame ! »
La difficulté au quotidien
Après quelques épreuves supplémentaires, l’équipe m’ôte la combinaison pour permettre aux deux assistantes sociales qui viennent d’arriver de la revêtir. Le soulagement est immédiat et l’expérience me permet de regarder d’un œil initié les nouvelles participantes. Couper une pomme, servir un verre d’eau, manger un yaourt, rien ne leur est épargné. Le temps s’étire, la difficulté des gestes ne cesse de les étonner. Peu à peu, je les vois adopter les attitudes propres à la vieillesse. Les déplacements sont prudents à l’extrême, la tête est courbée pour scruter le sol à la recherche d’un obstacle : « En vivant cela, on comprend beaucoup mieux les personnes âgées, pourquoi cela peut angoisser de sortir, de se rendre à un commerce », souligne Valérie Ramirez. Les deux assistantes sociales ressortent ébahies de l’expérience : « Bien sûr, nous avions déjà appris les gestes à faire pour aider les personnes âgées. Mais on se rend bien davantage compte de ce que c’est pour eux de les faire. En fait, je me suis sentie comme enfermée dans mon propre corps », assure l’une d’elles. Anaïs, la plus jeune, en sourit malgré tout : « Je ne pensais pas que c’était aussi sportif, de manger un yaourt ! »
Morgane Olès