La musique au chevet des patients
La musique au chevet des patients
ce reportage, réalisé à l’hôpital de Carhaix, présente in situ l’usage et les vertus de la musicothérapie dans les services de soin.
Depuis deux ans, l’hôpital de Carhaix a mis en place de la musicothérapie dans le service de soins palliatifs. Une pratique qui apaise les patients et leur permet de s’exprimer autrement.
Il est assis dans un siège rose vif, au détour d’un couloir d’hôpital uniquement perturbé par les allées et venues des médecins et infirmiers. Par-dessus les Gala et autres Femina qui trônent sur la petite table basse, il pose un épais classeur vert, qui porte l’inscription « musicothérapie », avant de placer une guitare sur ses genoux. Stéphane Le Talbodec, musicothérapeute à l’hôpital de Carhaix, intervient quelques heures, chaque vendredi, auprès des patients. Le principe est simple : partager un moment musical avec des personnes en souffrance, le plus souvent dans les services de soins palliatifs.
« La société civile à l’hôpital »
Scruté intensément par le regard inquisiteur d’une grand-mère, le musicien laisse quelques notes alléger l’atmosphère du service ; pas trop fort, pour ne pas perturber la conversation téléphonique de l’aïeule. Un guitariste à l’hôpital : ici, cela fait environ deux ans que le spectacle n’est plus si inhabituel. Le docteur Duhamel, responsable du service de gériatrie, en a le sourire aux lèvres : « C’est un peu la société civile qui entre à l’hôpital, ça n’est pas toujours facile de trouver sa place au milieu des professionnels de santé : nous avons mis en place les conditions pour qu’il soit pleinement intégré au service. »
Aux alentours de 13 h, Stéphane Le Talbodec se dirige vers les infirmières. Il prend quelques notes sur les patients à aller voir en priorité. À la première chambre, il trouve porte close : l’état de la patiente s’étant dégradé, son mari ne souhaite pas qu’elle voie qui que ce soit. Le patient suivant l’accueille d’un sourire fatigué. Atteint d’un cancer, il est entré depuis peu dans le service de soins palliatifs. Le nez bardé de tuyaux reliés à l’oxygène, l’homme respire difficilement. Ses mains sont crispées sur son ventre. Il explique qu’il dort difficilement la nuit.
Des séances personnalisées
Dès les premières notes, son visage s’anime : « Je la jouais quand j’étais plus jeune, celle-là ! », explique-t-il à Stéphane Le Talbodec. Saisissant l’occasion au vol, le thérapeute lui propose de lui laisser une guitare, après son départ. Chacune des séances est ainsi adaptée au patient : « Le temps que je passe avec le patient doit être le plus efficace possible. Je suis un jazzman, improviser fait partie de ma formation ; je fais appel à ces compétences, parce que je ne veux pas rater l’instant. Quand les patients répondent, on voit tout de suite ce qui correspond. Dans le cas contraire, les réponses sont très primitives, il faut se fier à un souffle, un gémissement… C’est plus complexe. »
Le lit s’est abaissé dans un bruit de moteurs électriques. Lentement, le patient se tourne sur le côté, le bas du corps enroulé dans les draps bleus et blancs. Ses épaules sont agitées de petites secousses régulières. La musique de Stéphane continue à accompagner les pleurs tout en douceur. Il est habitué au phénomène : « On passe souvent du rire aux larmes. La musique apporte de l’émotion, des souvenirs… On vit des moments très forts, dans lesquels les personnes extériorisent des sentiments à la fois très naturels et très difficiles à exprimer. Pleurer leur permet de s’alléger d’un poids. »
Quelques chansons plus tard, Stéphane le Talbodec laisse doucement s’éteindre les dernières notes : « il dort », chuchote-t-il, hochant la tête d’un air satisfait. Le souffle régulier s’est apaisé. « Il ne s’agit pas de passer juste un petit moment sympa en musique, insiste le musicien. Les effets thérapeutiques derrière sont bien réels. »
Le docteur Duhamel atteste d’ailleurs des effets positifs sur les patients : « La musicothérapie leur permet de s’évader, de se sentir autre chose que malade. On constate que cela apporte un apaisement, les gens se sentent mieux, comme s’ils se retrouvaient eux-mêmes. Et ce qui est intéressant, c’est de voir qu’il y a aussi un effet sur les soignants, qui se sentent satisfaits d’avoir l’impression d’être plus complets dans le soin. »
« Tous les moments comptent »
À peine sorti de la chambre, sur la pointe des pieds, Stéphane se hâte d’aller chercher sa deuxième guitare pour la laisser au patient. Car après son départ, tout est mis en place pour prolonger le projet. Un poste de musique est à disposition des patients, ainsi qu’un magnétophone, pour ceux qui souhaiteraient laisser « un moment vocal ». Le thérapeute met ensuite ces témoignages en musique, avant de les remettre à leur famille. Car pour Stéphane Le Talbodec, « tous les moments comptent, jusqu’au dernier souffle. »
Morgane Olès
Photo by dhammza on Foter.com / CC BY-NC-ND