Mal logement : y a-t-il péril en la demeure ?
Mal logement : y a-t-il péril en la demeure ?
Enquête en centre Bretagne sur la question du mal logement, problématique sociale très prégnante dans cette zone rurale. Cette enquête réalisée pour l’hebdomadaire le Poher a reçu le premier prix Pléven, prix de la presse hebdomadaire bretonne.
Centre Bretagne, terre de mal logés… Depuis plusieurs années, de nombreux acteurs s’y mobilisent pour lutter contre la précarité de l’habitat. Malgré les dispositifs déployés, la question reste un chantier colossal et délicat, qui touche à l’intimité des plus démunis.
Une file d’attente s’étire devant les locaux des restos du cœur à Carhaix, ce mardi. Ils sont nombreux à être venus chercher de l’aide alimentaire, mais pas seulement ; car en matière de mal logement, les bénévoles en voient passer des vertes et des pas mûres. « Je suis arrivé à Plourac’h il y a un an. Comme on a des faibles revenus, on a loué une maison de campagne, pas cher. Le premier coup de froid a marqué le début des ennuis : la chaudière fuyait. j’ai perdu 800 € de fuel, je n’avais pas de quoi en racheter, on a pris un chauffage d’appoint. On n’avait plus d’eau chaude. Au premier relevé d’eau, on s’est aperçu qu’il y avait 600 m3 de fuite. Même en chauffant, les murs ont commencé à moisir. L’eau ruisselle à l’intérieur de la maison. On n’a plus l’électricité dans une partie de l’habitation. Quand j’en parle au propriétaire, il nous dit qu’il n’est pas responsable de notre façon de vivre… Aujourd’hui, même si on a amélioré des choses, ma belle famille ne veut plus venir et les enfants n’osent pas inviter des amis. Dans deux jours, je vais au tribunal pour savoir si je peux conserver leur garde. C’est ça, les conséquences d’un mauvais logement », témoigne Emmanuel.
Des sols en terre battue
Dans la voix de Mme Raoul, habitante de Treffrin, c’est la colère qui perce : « Moi, j’avais un retard de loyer. Le propriétaire a appelé la CAF pour me supprimer les allocations, et veut me mettre dehors en janvier. Ça fait un an et demi que je n’ai pas l’électricité à plusieurs endroits dans la maison et que je vis dans la moisissure ! Je refuse de payer le loyer. » Des cas comme ceux-ci, les restos du cœur, les travailleurs sociaux, les associations, tous ceux qui sont au plus près de la vie quotidienne des plus démunis en détectent au quotidien. Et pourtant, ces deux témoins n’en avaient encore jamais parlé. En centre Bretagne, entre 8 et 10 % des logements sont identifiés « potentiellement indignes » : c’est-à-dire, impropres à l’habitation en raison de risques de santé, ou de sécurité physique. C’est le taux le plus élevé de Bretagne administrative. Un chiffre alarmant, qui ne représente pourtant que la partie émergée de l’iceberg… Car de nombreux cas ne sont pas signalés. D’autres logements, vétustes, mal isolés, forcent les ménages les plus démunis à vivre dans des conditions précaires, mais n’entrent pas dans la définition de logement « indigne » : dans une zone où les taux de pauvreté sont les plus élevés de Bretagne, on ne peut qu’imaginer à quoi ressemblerait le chiffre final.
Des marchands de sommeil
« J’ai vu des habitations au sol en terre battue, où il n’y avait pas d’eau, pas de sanitaires. J’ai vu une maison qui ressemblait plus à une cabane, qu’on me disait traversée par des rats… Le centre Bretagne n’est vraiment pas à égalité sur la thématique du logement », décrit Maïna Postic, conseillère logement à la fondation Massé Trévidy, qui accompagne les ménages sur de nombreuses questions sociales, dont le logement.
Les raisons ? Certaines individuelles, d’autres plus particulières au centre Bretagne. Vétuste, le parc de logement a été peu rénové : certains habitants ont toujours habité dans ces maisons peu isolées, usées par le temps. D’autres, attirés par le faible prix de l’immobilier et des loyers, s’y sont installés sans réaliser le coût prohibitif des charges… Si bon nombre de bailleurs n’ont simplement pas les moyens de rénover, Maïna Postic n’a pas peur des mots : « Il y a aussi des marchands de sommeil. Certains bailleurs ont bien vu qu’il y a des gens dans la précarité, et en profitent pour louer n’importe quoi. »
Pourtant, Stéphane Martin, président de la Fondation Abbé Pierre Bretagne, en lutte contre le mal logement, l’assène : « Il n’y a jamais eu autant d’aides disponibles ! » Mais ces aides, beaucoup ne les demandent pas. « Être mal logé, c’est gênant. Il y a une problématique de honte, et d’isolement », explique Jacques Matelot, directeur adjoint des Compagnons bâtisseurs Bretagne, une association qui aide les plus démunis à rénover leur logement. « Il y a aussi un gros problème de mobilité. Se déplacer, dans une zone où il y a peu de transports, pour aller faire des démarches, aller à la CAF, aux services sociaux, c’est compliqué, et ça prend du temps quand on est déjà écrasé par beaucoup de problèmes », complète Fanny Roué, de la fondation Massé Trévidy. Le plus souvent, ce sont les associations, les assistants sociaux, les aides à domiciles qui signalent les cas aux services sociaux : une « fiche de repérage » est remplie. L’accompagnement peut démarrer : mais là encore, tout n’est pas si simple…Qu’elles soient nationales, départementales, communautaires, communales, les aides sont soumises à des critères bien précis et demandent aussi parfois un apport financier de la personne aidée. Pas évident, dès lors, de se diriger dans les méandres de l’administration. Les structures d’aide, institutionnelles ou associatives, sont multiples : « L’habitat recouvre à la fois des problématiques sociales, de logement et de santé », explique Léna Bourhis, chargée de la mise en œuvre d’un « programme local de l’habitat » à Poher communauté.
Un réseau dans la jungle
Dans les faits, les personnes qui rencontrent des difficultés de logement entrent dans ce réseau par des portes variées : le plus souvent, par les associations caritatives ou les centres d’action sociale, qui mettent en relation les structures adéquates en fonction des problématiques rencontrées : « Chaque cas suppose un montage de projet, qui mobilise différents acteurs », confirme Jacques Matelot. Tout repose alors sur la capacité de chaque structure à connaître les autres, et à savoir se repérer dans cette petite jungle administrative.
« Nous devons encore améliorer la coordination des acteurs », admet Léna Bourhis… Pour alléger ces procédures, les associations ont la part belle : « Les aides étatiques, comme celles proposée par l’agence nationale de l’habitat permettent d’effectuer de gros travaux, mais la barre est mise tellement haut qu’on peine parfois à l’atteindre », explique Jacques Matelot. Alors il faut s’adapter : « On travaille par étapes, on fait des choses concrètes, qui remobilisent pour ensuite aller plus loin. » De même, la fondation Massé Trévidy accompagne les personnes jusque dans l’achat de meubles. L’association Consommation logement et cadre de vie tente de négocier avec les propriétaires, d’obtenir des baisses de loyers. L’agence locale de l’énergie prodigue des conseils sur les pratiques de consommation…
Ce travail au cas par cas permet aussi de ne pas effaroucher la personne mal logée : « Le logement est un point délicat, derrière lequel on peut tirer toutes les lignes de la vie d’une personne, rappelle Jacques Matelot : y toucher, ça n’est pas facilement accepté. » Au-delà de l’émotionnel, la crainte : « Nous pouvons accompagner les personnes jusqu’au procès, affirme Valérie Boulc’h, juriste à la CLCV, qui conseille sur le plan juridique les personnes mal logées. Mais souvent, elles sont fragilisées, n’osent pas… » Fanny Roué et Maïna Postic dénoncent des solutions peu adaptées aux milieux ruraux : « Souvent, être mieux logé, ça signifie aller dans un logement social. La plupart des solutions se trouvent dans les villes, et ici, les gens sont attachés à la ruralité. Déménagement signifie alors déracinement. »
PORTRAIT EN ÉCLAIRAGE
La maison, les souvenirs, et le froid
Dans la cafetière en plastique, le liquide brun s’écoule au goutte-à-goutte, en dessous des assiettes peintes fièrement accrochées au mur. Le gong d’une lourde horloge de famille résonne. Sa propriétaire râle un peu : « Elle n’est plus très à l’heure ». Photo en noir et blanc de mariés radieux, meubles chargés de moulures… Chaque objet, dans la cuisine de Suzanne, porte la mémoire des lieux. Elle, calée au fond de sa chaise, arbore ses années dans les creux de son visage. Elle a commencé à vivre dans ce petit village centre breton à son mariage, il y a 68 ans. « On avait une ferme. Mon beau-père a insisté pour qu’on nous laisse la maison familiale, pour pouvoir venir souvent. On s’arrangeait bien avec lui, surtout pour jouer aux cartes ! Enfin, quand il ne trichait pas… » Souligné par deux coquettes boucles d’oreilles dorées, son regard laisse entrevoir un brin de malice. Aujourd’hui, elle sait qu’elle va pouvoir rester dans ce logis, que son mari a quitté voilà 25 ans. Pourtant, il y a un an, tout a bien failli basculer.
Des piles de couettes
Ses bras, devenus trop frêles, ne parviennent plus à porter le bois jusqu’à son fidèle poêle à bois. Le froid envahit la maison. Suzanne installe un chauffage d’appoint, un petit poêle à pétrole, qui empeste l’air. « Ça lui coûtait très cher. Quand je venais la voir, je voyais des piles de couettes sur son lit », raconte Ludivine Gravier, son assistante sociale à la MSA. Avec une retraite d’environ 700 € par mois et une facture proche des 150 €, la situation devient critique. La maison de retraite ? « Ne me parlez pas de maison de retraite, réplique aussitôt Suzanne, la voix chargée d’émotion. J’ai toujours vécu ici, c’est ici que mon mari est décédé… » Ludivine Gravier tire alors la sonnette d’alarme : mais l’aide de l’agence nationale de l’habitat, d’abord envisagée, s’avère complexe à mettre en place. Elle nécessite de gros travaux, et un apport financier non négligeable. Les Compagnons bâtisseurs, association qui aide les plus démunis à rénover leur logement, et l’Alecob, spécialisée sur les problématiques d’énergie, entrent alors dans la danse.
« Ils ont fait la fouille ! »
Une visite est faite sur place : « Ils ont fait la fouille, quoi ! » Diverses aides sont mobilisées en plus d’une participation du ménage pour boucler le projet. Les Compagnons débutent les travaux le 21 août. 15 bénévoles se relaient et, pas à pas, la lutte contre le froid s’organise. Deux radiateurs sont installés, une trappe est posée sur la porte du grenier, des rideaux isolants fixés sur la porte. 300 millimètres de laine de verre isolante sont installés dans le grenier, 120 sur les murs de la chambre. « Ce ne sont pas des travaux énormes, mais mis bout à bout, ils auront un impact direct », explique Jacques Matelot, directeur adjoint des Compagnons bâtisseurs Bretagne. Pour Ludivine Gravier, c’était la clef pour que Suzanne accepte les travaux : « Elle ne voulait pas d’un gros chantier. La personne a ses souvenirs dans la maison, ses petites habitudes… On a dû débarrasser, faire le deuil d’objets… C’est une expérience dure à vivre. » Solène Champenois, responsable territoriale Côtes-d’Armor de l’association, surveille l’évolution du chantier. « C’est un moment de partage, souligne-t-elle. On prenait les repas ensemble, on a même pique niqué devant chez Suzanne ! » Juchée sur son déambulateur, l’intéressée joue les inspectrices des travaux finis : « Je les suivais sur le chantier, même si ce n’était pas toujours simple, s’amuse-t-elle. Je leur faisais des crêpes tous les jours, et des patates cuites au beurre. Ça oui, ils aimaient ça, les patates au beurre » !
Morgane Olès