M’hamid : quand le désert s’assèche

M’hamid : quand le désert s’assèche

Cet article de blog traite de l’assèchement dans l’oasis de M’hamid, dans le désert du Sahara. Il a été réalisé pour le blog des Lettres d’Alice, média épistolaire que j’ai cofondé et qui propose un reportage mensuel par courrier.

Paru le 17 août 2020, pour le compte de : Les Lettres d'Alice

Me re-voilà ! 

Ce mois-ci, c’est avec plaisir que j’ai replongé avec vous dans mes aventures dans le désert du Sahara ! En me relisant, cependant, un point de ma lettre m’a turlupinée (oui, je milite pour la protection du terme turlupiner, un mot adorable et bien trop sous-utilisé à mon goût !). Mon guide, Ali, m’avait fait part d’un problème grandissant dans la région : la sécheresse. Sur le coup, je me souviens que cela m’avait intriguée : un désert peut donc avoir des problèmes de sécheresse ? Dans ma petite caboche, tout magnifique qu’il soit, un désert était tout de même avant tout un monceau de sable sec !

J’ai donc été creuser du côté de quelques études pour résoudre avec vous cet étonnant mystère que vous rêviez depuis toujours d’élucider (mais si, je vous assure). Attention, scoop, le désert est une zone désertique. Pourtant, la situation de sécheresse s’est en effet beaucoup aggravée, notamment depuis les années 1970.

Des droits sur l’eau

Dans la palmeraie de M’hamid, comme dans la vallée du Drââ (nom du fleuve qui circule dans ce coin) en général, l’agriculture a une place très importante : on y cultive notamment des palmiers dattiers. Traditionnellement, pour abreuver ces palmiers bien courageux et les aider à braver un soleil cuisant, un système d’irrigation était mis en place via des séguia, des petits canaux d’irrigation artisanaux. Les différents cultivateurs se voyaient attribuer des “droits d’eau”, c’est à dire un temps pendant lequel ils avaient le droit de dériver de l’eau vers leurs cultures, en fonction de leur part de travail dans l’entretien des seguias (droit mek). Un autre système consistait à faire toutes les réparations en commun, puis d’irriguer équitablement toutes les cultures tour à tour (droit moulli). Les nomades pouvaient eux aussi posséder des droits d’eau et percevoir des récoltes, en échange de leur protection envers l’oasis.

El Mansour Eddhabi, la fausse bonne idée

Ces questions de répartition pouvaient causer des conflits, puisque même de cette façon, la quantité d’eau n’était pas toujours suffisante. En plus, pour couronner le tout, l’eau de cette région est de plus en plus salée, donc peu propice à la culture… 

Dans les années 1970, le gouvernement a donc souhaité moderniser le système d’irrigation : ça a donné le barrage de El Mansour Eddahbi, qui fait une retenue d’eau en amont de M’hamid et des autres palmeraies en aval. L’idée était de provoquer des crues artificielles régulièrement pour tout irriguer. En fait, il s’avère qu’il n’y a pas du tout assez d’eau pour faire suffisamment de crues dans l’année, et qu’en plus, en la faisant stagner, on en perd au passage. Finalement, cette fausse bonne idée a plutôt accru la sécheresse des différentes palmeraies de la vallée.

Et les oasiens pompaient, pompaient…

Et puis, histoire de ne pas du tout faire déborder le vase, les agriculteurs locaux ont, pour certains, aggravé la situation. Avec les années, beaucoup d’oasiens (oui, on peut dire ça !) sont partis de la palmeraie pour faire fortune ailleurs, dans l’idée de revenir avec davantage de moyens pour se développer. Malheureusement pour nos petits palmiers, certains ont réussi ! Avec l’argent sont aussi arrivées les pompes motorisées, qui puisent directement dans les ressources d’eau souterraines, et rompent avec le système de répartition traditionnel. Certains ont aussi étendu leurs cultures pour être plus productifs, et les façons de faire sont devenues globalement plus individualistes. Et slurp, font les nappes phréatiques agonisantes.

Toujours plus de dromadaires !

Côté nomades, les troupeaux se sont agrandis avec le temps, jusqu’à doubler, tripler le nombre de chameaux et dromadaires habituellement élevés par les caravanes. Le problème, c’est que ces charmants compagnons à poil ont plus rapidement épuisé les ressources végétales, causant un appauvrissement des sols. Et scrontch, font les dromadaires.

Ce phénomène a amené une sédentarisation forcée de certains nomades, et donc une hausse de population oasienne, ce qui n’est pas pour améliorer l’état des ressources en eau. Deuxième conséquence, cela a accéléré la diversification des nomades vers le tourisme.

Le tourisme à M’hamid

Ah, le tourisme. J’ai l’impression que c’est un peu la grande question pour M’hamid. Je l’ai raconté dans ma lettre, le tourisme a réellement eu des conséquences positives dans le secteur, qu’il s’agisse du tourisme de bivouac ou de celui de l’oasis. Pour les caravanes traditionnelles, cela a été un moyen de se diversifier, une opportunité de plus. Côté patrimoine, le tourisme a permis de remettre en valeur des bâtiments historiques, mais aussi tout un patrimoine oral : les habitants ont pris conscience de la valeur de leurs légendes, de leurs traditions, de leurs danses… Plutôt chouette, non ? 

Sauf que pour plaire à un certain nombre de touristes occidentaux à la recherche de confort, les constructeurs d’hôtels ont défriché la palmeraie pour y loger leurs bâtiments, souvent équipés de piscines et autres infrastructures très aquavores. Entre 1980 et 2011, l’oasis de M’hamid est passé d’une capacité d’accueil de 4 hôtels à… 40 ! Un chiffre qui ne paraît pas si énorme, mais qui peut vite peser sur un milieu fragile. Quelque 70 hectares de palmiers ont aussi été défrichés en 20 ans. 

Cela dit, avec toute ma foi en l’humanité alicienne, je me suis dit qu’en dix ans, les mentalités des touristes avaient pu évoluer sur cette question des piscines à outrance, avec la sensibilisation aux enjeux environnementaux, et j’ai fait une rapide recherche sur un site de réservation d’hôtel.

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Bon, et bien en fait non… Toute cette hôtellerie pose en plus un souci de pollution des nappes phréatiques, car les eaux usées sont souvent répandues telles quelles. 

C’est un sacré paradoxe, tout de même. Le tourisme détruit tranquillement ce qui est à l’origine de l’engouement pour l’oasis de M’hamid : l’environnement naturel. Enfin, vous noterez qu’avec ma tente dans le désert, je n’ai pas trop exagéré sur la consommation en eau ! Il existe aussi un tourisme plus responsable, où l’on propose aux visiteurs de bivouaquer, ou de découvrir le mode de vie des habitants locaux en logeant chez l’habitant… De quoi redonner un peu le sourire quant à l’avenir de cette jolie porte du désert…